Fadhel Abdelkafi & Ahmed Abdelkafi et les multiples conflits d’intérêts dans le secteur financier

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Assez méconnu du grand public, Ahmed Abdelkefi reste pourtant l'un des plus importants hommes d'affaires de l'économie tunisienne. A l’âge de 71 ans, le dirigeant de l'empire financier a été nommé dans l'un des postes clés de la plus grande institution de régulation économique du pays : la Banque Centrale. Le 26 août 2016, soit 10 jours après la tenue du conseil d’administration de la société finanicère dont il est directeur général, Fadhel Abdelkafi, fils de Ahmed Abdelkafi, est nommé à la tête du ministère du développement et de la coopération internationale : l’une des plus importantes institutions de l’économie tunisienne. À travers cet article, nous attirons l'attention sur l'incompatibilité entre la fonction de membre du conseil d'administration de la Banque Centrale de Tunisie et les activités financières exercées par Ahmed Abdelkafi à travers les multiples sociétés qu'il détient ainsi que le conflit d'intérêt qui se pose entre la nouvelle fonction de Fadhel Abdelkafi et ses intérêts financiers et professionnels. Conflit d'intérêts flagrants D'après la loi n°58-90 portant sur sa création et son organisation, la Banque Centrale de Tunisie a parmi ses attributs la supervision des établissements de crédit dont les banques et les autres établissements financiers tels que les banques d'affaires ou les sociétés de leasing, d'assurance et/ou de factoring. Ahmed Abdelkafi a donc pour responsabilité en tant que membre du conseil d'administration de la BCT de participer à la régulation du secteur financier tunisien. D'autre part, lorsque nous avons retracé les fonctions qu'occupe Ahmed Abdelkafi nous avons trouvé qu'il est à la fois :
  • Membre du conseil d'administration d'une société d'assurance : COMAR,
  • Membre du conseil d'administration d'une société de factoring : Tunisie Factoring,
  • Président du conseil d'administration d'une société de leasing : Tunisie Leasing,
Pourtant, l'article 25 de la loi 2001-65 portant sur les établissements de crédit interdit explicitement et d'une façon très claire le cumul de ces fonctions. Article 25 (1): Le président-directeur général, le directeur général, le directeur général adjoint, le président ou le membre du directoire d’un établissement de crédit ne peuvent exercer aucune de ces fonctions dans un autre établissement de crédit ou une société d’assurance. Le président-directeur général, le directeur général, le directeur général adjoint, le président ou le membre du directoire d’un établissement de crédit ne peuvent exercer simultanément la fonction de membre du conseil d’administration dans une autre banque. Le graphe ci-dessous montre très bien qu'en plus des fonctions précédemment citées, Ahmed Abdelkafi est lié à plusieurs autres sociétés du secteur financier via des relations d'actionnariat direct et/ou indirect. Ces mêmes sociétés sont financées par des crédits obtenus auprès des banques que la BCT dont il est membre du conseil d'administration est censée superviser. La schématisation des entreprises dont Ahmed Abdelkafi est (directement ou indirectement) actionnaire et/ou qu'il dirige montre un lien particulier entre lui et la banque Amen Bank, entité principale d'Amen Group, dont la BCT est à la fois l'autorité de tutelle et l'un des principaux créanciers. D'autre part, la société Tunisie Leasing partage le capital de plusieurs de ses filiales avec Amen Bank. Encore une fois, Ahmed Abdelkafi se retrouve dans une situation de conflit d'intérêt entre sa fonction de membre du conseil d'administration de la BCT et partenaire important d'une des plus grandes banques de la place. Blanchiment d'argent et financement de la contrebande ? En 2003, la loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent a créé une commission appelée "Commission Tunisienne des Analyses Financières" qui siège à la Banque Centrale de Tunisie et est présidée par son gouverneur dont le but est de lutter contre le blanchiment d'argent provenant d'activités illicites à travers sa réintroduction dans les circuits de l'économie licite. Cette même loi, amendée en 2014, oblige plusieurs catégories de personnes physiques et morales à déclarer à la CTAF toute suspicion de blanchiment d’argent qu’ils constatent lors de l’exercice de leurs fonctions. Malgré la création de cette institution, l’interconnexion entre certaines activités illicites et les circuits financiers légaux est toujours, voire de plus en plus, développée. La contrebande fait partie de ces pratiques hors-la-loi qui continuent à alimenter et à être alimentées par le secteur financier tunisien. Alors qu’en apparence les transactions financières des contrebandiers se fait en cash, la réalité est toute autre. Plusieurs agences bancaires profitent de la dynamique de l’économie informelle développée dans les zones frontalières caractérisées par l’intensité de la contrebande. (Meddeb, 2012). Ce qui est encore plus intéressant à expliquer est la manière dont le secteur financier soutient la contrebande ainsi que toutes les activités illicites ou/et informelles qui y sont liées. Bien que les statistiques soient indisponibles, un travail de terrain permet de voir que bon nombre des voitures utilisées par les contrebandiers sont des pickups achetés via le leasing. En quête de profit, les sociétés de leasing se retrouvent en train de faciliter l’accès aux moyens de transport pour les contrebandiers de marchandises vendues dans les marchés informels via des réseaux organisés ou d’armes utilisés par des terroristes dans la déstabilisation de la sécurité nationale. Une partie des recettes des activités de contrebande frontalière finit dans les poches des propriétaires des sociétés de leasing sous forme de remboursement des crédits leasing. En nous interrogeons sur le laxisme des autorités dans le démantèlement de ces réseaux, nous ne pouvons écarter l’hypothèse selon laquelle ces institutions ont du mal à toucher aux intérêts de groupes d’intérêts occupant des postes clés dans les institutions de l’État. En effet, Ahmed Abdelkafi, Président du Conseil d’administration de Tunisie Leasing est aussi, comme nous l’avons précédemment expliqué, membre du conseil du conseil d’administration de la BCT. Slim Chaker, ministre des finances, n'était-il également pas membre du conseil d’administration d’une autre filiale du groupe dont Tunisie Leasing est actionnaire avant d’occuper son poste ministériel ? Slaheddine Caid Essebsi, frère du Président de la République Beji Caid Essebsi qui a renouvelé le mandat d’Ahmed Abdelkefi à la tête de la BCT n’est-il également pas membre du conseil d’administration de Tunisie Valeur, une filiale de Tunisie Leasing ? C’est dans ce genre de situation que nous voyons l’importance de la lutte contre des situations de conflits d’intérêts aussi flagrantes que celle que nous avons décrite dans le premier paragraphe. Bien que nous nous soyons concentrés sur Ahmed Abdelkafi, cas que nous considérons comme étant flagrant et abusif, plusieurs autres personnes se sont trouvées en situation de conflit d’intérêt en devenant membre du conseil d’administration de la Banque Centrale. Certes, la loi créant la BCT énonçait que quatre membres du conseil d’administration doivent être « choisis en raison de leur expérience professionnelle dans les secteurs économiques et financiers », mais le temps où les conflits d’intérêts sont acceptés, voire même institutionnalisés, est révolu. Les lois doivent changer. Fadhel Abdelkafi dans « la porte tournante » : Le concept de conflit d’intérêt est un concept assez développé. Il inclut également les conflits inter-temporels entre les différentes fonctions occupées par la même personne au cours de sa vie professionnelle. Le concept de « la porte tournante » (revolving-door) est défini par l’OCDE dans son manuel sur les bonnes pratiques en matière de prévention des conflits d’intérêts comme étant « le mouvement de personnes clé entre le secteur public et le secteur privé ». Bien que ce phénomène soit assez fréquent en Tunisie à tel point qu’il soit perçu comme étant banal et tout à fait acceptable, il représente toujours un facteur de création de situation de conflits d’intérêts. Le fait que Fadhel Abdelkafi quitte son poste lucratif à Tunisie Valeur -où le revenu annuel du directeur général est de l’ordre de 400 milles dinars d’après les comptes annuels de la société de 2014- pose bien des questions. La fonction de ministre de la coopération internationale et du développement exige un contact régulier et fréquent avec les représentants des institutions internationales tel que la Banque Mondiale, l’Agence Française de Développement ou autres bailleurs de fonds étrangers qui financent en même temps des sociétés détenues par la famille Abdelkafi telle que « Tuninvest International Limited », qui d’ailleurs est domiciliée dans le paradis fiscal de Jersey. Il en est de même pour leur partenaire à Tunis AfricInvest domicilié lui aussi dans un autre paradis fiscal (L'Île Maurice). Actuellement, rien ne garantit que Fadhel Abdelkafi ne donnera pas des avantages et des concessions à ces institutions afin qu'il puisse garder ses relations privilégiées avec elles lorsqu’il retournera au secteur privé ou qu'il puisse profiter de cette position pour apporter de nouveaux financements à ses sociétés. En effet, le rapport publié aux États-Unis par le groupe de travail sur le phénomène de la porte tournante soulève l’attention sur le fait que ce type de situations « peut donner aux agents publics la possibilité de se servir de leur fonction pour obtenir des avantages personnels ou privés au détriment du contribuable américain ». Ne devrions-nous pas nous interroger sur l’impact de ce genre de phénomène sur le contribuable tunisien ?
Recommandations
  1. Nous appelons Ahmed Abdelkafi à démissionner du conseil d'administration de la Banque Centrale et des diverses institutions financières dont il est dirigeant afin de sortir de la situation de conflit d’intérêts dans laquelle il se trouve actuellement;
  2. Nous appelons la Banque Centrale à publier l'intégralité des textes des procès-verbaux des réunions du conseil d'administration auxquels Ahmed Abdelkafi a pris part;
  3. Nous appelons le ministère de l'intérieur et la CTAF à donner plus d’importance au démantèlement des réseaux existants entre le crime transfrontalier et le secteur financier tunisien;
  4. Nous appelons la Cour des Comptes à lancer une enquête au niveau de la Banque Centrale de Tunisie pour évaluer jusqu'à quel degré Ahmed Abdlekafi aurait bénéficié de sa position de conflit d’intérêt;
  5. Nous appelons les membres de l’Assemblée des Représentants du Peuple à amender le statut de la Banque Centrale afin de garantir l’indépendance de la Banque Centrale des lobbys d’intérêts privés et d’accélérer la mise en place d'une loi qui définit et criminalise le conflit d'intérêt dans les secteurs public et privé;
  6. Nous appelons le Chef du Gouvernement Mr Youssef Chahed à appliquer le Code de conduite et d'éthique de l'agent public dont la partie 4 stipule que « Dès sa prise de fonction l’agent public doit déclarer par écrit à son supérieur direct les situations d’intérêts privés qui peuvent être en contradiction avec les obligations relatives à ses fonctions »;
  7. Nous appelons Mr Fadhel Abdelkafi à déclarer et publier ses biens et propriétés afin de pouvoir connaître les sociétés qui lui sont liées;
  8. Nous appelons tous les organismes de contrôle à suivre les transactions publiques qui peuvent concerner les associés de Fadhel Abdelkefi ainsi que les investisseurs qui entreprennent des relations avec lui ou avec son père.